Nous abordons dans cet article, une question de fonds que les uns et les autres pourraient trouver dénuer de toute importance ou utilité mais qui en réalité représente le soubassement de tout développement. Il s’agit de la problématique de la construction de la pensée. Il est clair qu’il ne peut y avoir de développement pour aucune Nation si les fils et filles de cette Nation ne développement des stratégies propres à leurs contextes. Le transfert de technologies ou de compétences avérées ailleurs n’est pas le gage d’un développement. Au contraire, cela aboutit à l’aggravation de la pauvreté, à la discrimination et à l’augmentation des écarts entre faux riches et pauvres. Le secteur de l’agriculture, considéré comme le secteur le plus important de l’économie béninoise illustre bien nos propos. Malgré le transfert des innovations d’ailleurs, malgré les fonds engloutis, malgré les nombreux projets mis en œuvre depuis une trentaine d’années, le secteur reste toujours égal à lui-même. Les plus pessimistes diront même que le secteur a reculé, vu l’avancée de la pauvreté qui se manifeste tout simplement par le dénuement des populations agricoles et alliées.
Que faisons-nous pour, d’une part amener nos concitoyens à développer des stratégies innovantes capables de nous mettre sur la voie du développement et d’autre part, quels mécanismes mettons-nous en place pour faire la promotion des personnes qui essaient de proposer des idées innovantes ? Pourquoi avons-nous si peur d’innover ou d’entreprendre ? Quels mécanismes sont mis en place pour stimuler les jeunes à innover ?
A notre avis, la principale cause de ces différentes situations est liée à notre système de pensée. En effet, la façon dont la pensée est construite chez nous permet-elle aux gens de prendre des initiatives ? Les gens ont-ils la liberté de réfléchir par eux-mêmes ou au contraire, ils ne font que répéter ou ressasser ce qui leur a été transmis par leurs aînés.
Dans la culture béninoise et de surcroit la culture africaine, la connaissance s’acquiert jadis après passage à des rites d’initiation. Cette connaissance consiste essentiellement au transfert de savoirs ancestraux. L’individu qui acquiert ces savoirs est sensé devenu une personne adulte. Cependant, être adulte signifie t-il avoir réussi aux rites initiatiques ? En quoi ce passage permet-il aux individus d’augmenter leurs capacités d’analyse et d’être en mesure de penser par eux-mêmes et non de réciter ce que les ancêtres leurs ont transmis ? Comment peut-on se développer si on ne peut produire des pensées par soi-même ? Comment peut-on se développer si on ne peut douter des dogmes de la tradition ? Si les travaux de Galilée ne lui avaient pas permis de démontrer que la terre est une sphère et non une surface plane, ce dogme établit par l’église chrétienne circulerait toujours. Pourtant, par ses réflexions de cette époque là, il a révolutionné beaucoup de choses. Cela n’est-il pas valable pour assez de dogmes établit par la tradition africaine ?
Revenant à ce qui se passe aujourd’hui, ne sommes nous pas capables de faire les mêmes constats ? A notre avis, rien n’a changé même si beaucoup d’africains ont été en contact avec la culture occidentale. Dans la culture occidentale, la science et le savoir ne sont pas détenus par les ancêtres. Ils sont accessibles à tous ; ce qui a permis aux intellectuels africains d’en apercevoir quelques aspects. Malheureusement, cela ne leur sert pas à grand-chose.
Le Bénin par exemple regorge d’Ingénieurs Agronomes et pourtant l’agriculture reste par terre. Chaque année au moins une cinquantaine d’Ingénieurs Agronomes sont mis sur le marché et pourtant l’agriculture ne décolle pas. Des cadres de conception mais qu’est ce qu’ils conçoivent au juste ? Que font les ingénieurs agronomes pour le décollage de l’agriculture ? Combien s’installent à leur propre compte ? On nous dira que ce sont des cadres de conceptions et pour cela, ils n’ont pas nécessairement besoin de créer leurs propres exploitations agricoles. Mais alors, quelles sont les stratégies qu’ils élaborent pour sortir l’agriculture béninoise de son malaise ? Malgré tout le soutien du Gouvernement et des bailleurs de fonds internationaux, la filière coton sombre de jour en jour. La seule culture dont la filière a été mise en place par la Compagnie française de développement des fibres et textiles ne répond plus aux attentes des populations. La production ne cesse de diminuer et pourtant les ingénieurs agronomes interviennent toujours dans la filière. Au fond, que pensent réellement les ingénieurs agronomes du coton comme culture d’avenir pour le Bénin ? Le Bénin a-t-il vraiment les potentialités dans la production du coton ? Le coton est-il réellement une culture sur laquelle le Bénin doit se baser dans sa politique agricole ? Autant de questions auxquelles les ingénieurs agronomes doivent trouver des réponses si tant est qu’ils sont des cadres de conception. Un cadre de conception n’est pas un agent d’exécution et nos ingénieurs agronomes doivent prendre conscience de cela. Actuellement de nombreux ingénieurs agronomes occupent la fonction de Responsable agricole dans de nombreuses communes du pays. Quelles dynamiques sont en train d’être mises en place par ces ingénieurs ? À l’heure de la décentralisation quelles politiques agricoles ces ingénieurs agronomes développement avec les élus locaux. Occuper le poste de Responsable d’un Centre Communal pour la Promotion Agricole (CeCPA) ne fait pas de vous un agent d’exécution qui doit attendre des ordres du Ministère de l’Agriculture avant d’agir. C’est une aberration que les cadres de conception que sont les ingénieurs agronomes ne développement pas des stratégies locales dans les différentes communes où ils interviennent et qu’ils attendent tout du Ministère. Cette aberration trouve foncièrement sa source dans le processus de construction de la pensée.
Nous sommes dans un système de construction de pensée qui nous évite d’assumer nos responsabilités et de prendre des initiatives. Notre système de pensée nous a essentiellement appris à attendre tout de l’autre et à rejeter les résultats de nous échecs sur l’autre ou à mettre cela sur le compte de la fatalité. Nous ne cherchons pas à faire face aux problèmes, mais nous recherchons toujours des alibis. Quel est ce peuple où on justifie ce qui n’a pas marché par la faute de l’autre ? Quel est ce peuple ou l’individu en soi n’existe pas de part ses actes ? On n’existe que par les autres et cela pousse les gens à refuser ou à nier leurs responsabilités.
Si nous sommes matériellement pauvres, si nous ne mangeons pas à notre faim, c’est tout simplement parce que nous sommes pauvres d’esprit et pauvres intellectuellement. Comment pouvons-nous avoir le matériel alors que nous ne savons pas comment penser ? Nous ne pensons qu’à nos ventres et qu’à nous-mêmes alors que le développement nous oblige à penser au bien. Oui, pour nous développer, nous devons penser au bien pas en tant que ce qu’il nous faut matériellement pour vivre mieux tout en dominant les autres mais plutôt au bien en tant que ce qu’il faut au peuple, à l’individu inconnu. Nous devons penser à ce qu’il faut pour que tout le monde se sente bien. Si la démocratie a été inventée en Europe, c’est parce que les occidentaux ont trouvé que c’est une bonne chose qui permettra à tous de se sentir bien au sein de la cité. Le bien dont il est ici question dans la démocratie, ce n’est pas le fonctionnement de la démocratie à travers le fonctionnement des institutions mais plutôt l’esprit de la démocratie. Par la démocratie, on entend cette force qui vous pousse à œuvrer pour le bien des autres sans chercher une contre partie. Votre seule satisfaction, c’est de savoir que vous travailler pour le bien des autres et de savoir que le travail que vous fêtes donne des résultats perceptibles. Malheureusement, chez nous, nous n’avons copié que les aspects formels de la démocratie. Pour nous, un Etat démocratique est un Etat dans lequel toutes les institutions de la démocratie fonctionnent. La forme a donc pris le pas sur le fond. Dans ces conditions, les dirigeants viennent au pouvoir non pas pour travailler pour le bien du peuple mais plutôt pour s’enrichir et servir leurs proches. Combien de Chefs d’Etats Africains ne deviennent pas subitement riches une fois qu’ils sont élus à la plus haute fonction de leur pays respectifs ? Combien de Chefs d’Etats Africains ne cherchent pas à s’éterniser au pouvoir, et ceci seulement pour continuer par piller les richesses de la république ? Combien de dirigeants Africains ne vivent pas dans l’opulence alors que le peuple croupis sous le poids de la misère ? Tout cela est très éloigné voir opposé à l’esprit de la démocratie. L’esprit de la démocratie, c’est de l’altruisme, la faculté de se mettre au service de son peuple et travailler pour son mieux être. Et pourtant, nos Etats se déclarent démocratiques. Nous nous demandons, en quoi consiste vraiment cette démocratie. L’autre a dit un jour que « les pays africains ne sont pas encore prêts pour la démocratie » et il a été décrié sous tous les toits. L’honnêteté intellectuelle nous oblige à lui donner raison, n’en déplaise à ceux qui travaillent pour que l’Afrique reste toujours dernière dans le concert des Nations.
Pour nous développer, nous devons changer notre façon de penser et ceci doit commencer par nous les intellectuels Africains. Nous devons cesser d’accuser les autres et prendre notre destinée en main. C’est vrai que l’autre nous a maltraité par le passé, c’est vrai qu’à cause de l’autre, nous avons connu assez de retard dans le concert des Nations, c’est aussi vrai que la nature donne l’impression qu’elle est contre nous, mais c’est également vrai que nous sommes à la base d’un grand nombre des maux qui nous minent. Cesser d’accuser l’autre et nous remettre fondamentalement en cause, devraient déjà constitués un grand pas pour nous sur la voie du développement. Nous appelons donc à la renaissance des consciences africaines.
NB : Le prochain article portera sur un sujet d’actualité : « la problématique des faux médicaments ».